Quand l’eau bouillonne - les stressors ou les bougies


Les défenses des chevaux: comme un feu qui couve

par Edie Jane Eaton, instructrice Tellington-TTouch et formatrice Feldenkrais, Canada.

Cet article a été publié à l'origine dans la newsletter «Stay in touch» par Robyn Hood

Edie-Jane Eaton était l'une de nos merveilleuses instructrices qui a enseigné la méthode Tellington dans le monde entier pendant plusieurs décennies. Edie-Jane est décédée subitement en 2022 et elle nous manque terriblement. 

(Les propos développés dans cet article peuvent aussi s’appliquer aux chiens. Remplacez simplement «cheval» par «chien» en transposant les comportements et les situations correspondantes. ).

En règle générale, les praticiens TELLINGTON comprennent bien que les chevaux qui développent des défenses ont toujours une bonne raison de le faire, voire plusieurs.

Ces raisons peuvent être diverses:

  • incompréhension face à ce qu’on leur demande de faire
  • tensions
  • malaise physique
  • peur
Tous ces facteurs peuvent influer sur la mobilité du cheval et son comportement. En présence de défenses chez un cheval, il est impératif de prendre le temps de comprendre ce qui est en jeu. Il vaut la peine de saisir ce qui se passe dans le corps du cheval et dans sa relation à son environnement, autrement dit ce qui se cache derrière le problème, au lieu de juste essayer de le corriger. 

Même quand nous sommes conscients qu’il y a une raison qui explique le comportement de nos chevaux, quand nous reconnaissons qu’ils ne sont pas simplement têtus ou qu’ils n’ont pas décidé de résister simplement pour résister, quand nous passons beaucoup de temps à chercher le déclencheur du comportement problématique, nous pouvons avoir de la peine à résoudre cette énigme. Parfois, lorsque nous pensons avoir enfin trouvé la racine du problème et que le cheval reproduit le comportement en l’absence du fameux déclencheur, c’en est trop et nous explosons: sans déclencheur, pas d’excuse! Parfois aussi, nous nous adaptons. Nous faisons tout ce qui est en notre possible pour éviter ce que nous supposons être le déclencheur: nous démontons le mors avant le mettre au cheval ou nous faisons un détour pendant la balade. La vie peut être très compliquée!

Accumulation des facteurs de stress

Cette recherche du déclencheur s’apparente souvent à chercher une aiguille dans une botte de foin. Etes-vous déjà «rentré dans le cadre» d’une personne avant de vous excuser de votre attitude, peu importe le prétexte – vous aviez mal à la tête en vous réveillant, votre réveil n’a pas sonné, la machine à café était en panne, cela circulait mal, vous avez perdu votre porte-monnaie, etc. Sans parler du stress subtil provoqué par la révolte de votre adolescent pubertaire ou la prise en charge de vos parents. Ce sont toutes des petites choses de la vie qu’on arrive bien à gérer séparément, mais toutes en même temps? Peine perdue. Ce que la personne à qui vous êtes rentré dans le cadre a pu vous dire ou faire ne compte pas, c’était juste la goutte d’eau qui a fait déborder le vase, le paroxysme des facteurs de stress accumulés. C’est la même chose pour les chevaux. Quand il n’y a que quelques facteurs de stress, le cheval arrive à les gérer, mais il disjoncte quand ils se sont s’accumulés.

Quand l’eau bouillonne - les stressors ou bougies

Je me représente ces facteurs de stress – les difficultés rencontrées par les chevaux – comme des bougies. Elles sont allumées sous une casserole remplie d’eau et en chauffent le contenu. La température de la casserole correspond au degré d’irritabilité du cheval. Lorsque seules quelques bougies brûlent, le cheval garde le contrôle et fait bonne figure. Si d’autres bougies s’allument, la température dépasse le point d’ébullition et le cheval perd le contrôle de la situation. Plus important encore: il n’est plus capable d’apprendre! Si nous ne sommes pas conscients de l’effet cumulatif du stress, nous avons l’impression que le comportement du cheval est inexplicable, alors qu’on aurait pu le prévoir si l’on avait pris la peine d’identifier le moindre facteur de stress. 

Les bougies peuvent être allumées par des tensions ou un malaise physique et s’exprimer dans les gestes quotidiens, au moment du pansage, à l’attache etc., par de la peur dans le box, peur de monter dans le van ou peur du trafic, par un manque de confiance envers le soigneur ou le cavalier, qui résulte souvent de malentendus. 

Il peut être difficile de repérer ces petites bougies, et même quand il nous semble que le cheval va bien, il se peut que nous n’ayons pas encore réalisé que des bougies sont déjà allumées. Et même quand nous savons qu’elles brûlent, nous pouvons les considérer comme futiles ou sans lien avec le problème qui nous préoccupe, et nous les laissons brûler. Quand des bougies restent allumées sans interruption, peu importe leur taille, l’eau demeure chaude et peut rapidement atteindre le point d’ébullition. C’est là où je veux en venir: même de toutes petites bougies ont une influence. Si nous prenons le temps d’identifier le plus grand nombre de bougies et de les éteindre, cela peut faire une sacrée différence. 

Lorsque nous les aurons éteintes, il se peut carrément que le cheval n’adopte plus jamais de comportement de défense! 

Une anecdote à titre d’exemple

Un jour, j’ai travaillé sur un cheval pour aider sa cavalière à apaiser le cheval quand il disjonctait en concours. J’ai fait un peu de tout: travail corporel TTouch pour localiser et apaiser les tensions, travail au sol dans le Parcours d’apprentissage pour tester et améliorer son équilibre et son centre de gravité. Comme toujours, j’ai décelé de petites choses qui pouvaient être améliorées et sur lesquelles j’ai passé quelques minutes. Aucune n’a déclenché le comportement problématique, mais elles provoquaient une certaine tension dans le corps du cheval. Je n’ai vu ce cheval qu’une seule fois, et lorsque j’ai revu sa propriétaire à la fin de la saison des concours et que je lui ai demandé si mes propositions l’avaient aidée, elle m’a répondu:
«Hmmm, je n’en suis pas certaine, il n’a plus jamais disjoncté…»
... «Ah! J’ai compris!!!!»

J’utilise le modèle des bougies pour expliquer comment la méthode Tellington peut modifier des habitudes évidentes et ancrées, même si sur le moment le praticien n’est pas en train de «résoudre» le problème. Lorsque nous appliquons la méthode Tellington, nous éteignons plein de petites bougies, parfois même sans en être conscient ni les avoir identifiées

Dans l’exemple que je viens de raconter, on m’a demandé d’aider la cavalière à gérer le comportement problématique de son cheval. On ne m’a pas demandé d’agir en amont et d’éviter que le cheval produise ce comportement problématique, et pourtant c’est ce qui s’est passé. Il se peut toutefois que la cavalière continue de penser que son cheval ne changera pas et que ses réactions font simplement partie de son caractère («Il est comme ça!»). 

Avec la méthode Tellington, nous nous rendons compte que cette résignation fataliste reflète rarement la réalité. Je pense que beaucoup de petites bougies qui brûlent chez la plupart des chevaux seraient assez faciles à éteindre, et que la neutralisation de leur effet sur la température (l’irritabilité) permettrait au cheval de rester calme, dans un état qui lui facilite l’apprentissage. Quand un cheval se met à réfléchir au-delà de ses réactions instinctives, c’est comme une réaction en chaîne qui s’enclenche, et les problèmes se résolvent d’eux-mêmes. Résultat: un cheval dont le comportement ne cesse de s’améliore tant qu’il ne subit d’influences stressantes et négatives. 

Apprendre à «lire» le cheval

Une séance Tellington commence par une observation du cheval en profondeur, afin de déceler les éléments (bougies) qui alimentent les problèmes. Pour les identifier, nous devons comprendre comment le cheval manifeste son inquiétude ou sa peur. 

Déchiffrer le vocabulaire du corps, qui peut être très subtile et avoir des manifestations involontaires (contractures, apnée, pouls rapide, etc.), nous aide à détecter les bougies. Ce langage dépend de chaque animal et peut se manifester de diverses manières: le cheval peut faire des écarts, mastiquer, gratter le sol, se projeter en avant, se figer. 

Ces manifestations sont souvent prises pour des «vices», alors que bien souvent, ce n’est qu’une manière pour nos chevaux de nous dire «Je n’apprécie pas ce qui se passe». C’est triste, quand on y pense, de se rendre compte que nous n’entendons pas ces plaintes et que nous punissons même nos chevaux pour cela. 

C’est comme si nous leur répondions: «Ne dis pas que tu n’apprécies pas!» Soyez attentif à ces comportements, observez les réactions subtiles et vous développerez votre capacité à détecter les bougies, même les toutes petites qui étaient peut-être toujours en train de brûler à l’arrière-plan. 

Il existe trois catégories de bougies: les malentendus, les tensions/malaises physiques et la peur. Je pense que tous les passionnés d'équitation m’approuveront quand j'affirme que la compréhension, le bien-être physique et la confiance sont des conditions de base essentielles pour un travail efficace et de bonnes performances.

Malentendus

Il est primordial de se rendre compte quand un cheval est inquiet si l'on veut apprendre à le comprendre, et il est tout autant important de savoir quand il nous a compris – ou non! Vous réaliserez que vous pouvez lui montrer que vous tenez compte de son inquiétude en modifiant ce que vous êtes en train de faire ou en vous immobilisant un moment. Vous instaurerez ainsi une relation de confiance qui facilitera le travail. Le stress qui agit sur vous et le cheval diminuera. Vous arrêterez de vous méfier l’un de l’autre, et les malentendus se feront de plus en plus rares. 

Cela semble très facile, et c'est facile en réalité. Reconnaissez que le cheval donne probablement le meilleur de lui-même, tout comme vous. Et en cas de doute, accordez-lui le bénéfice du doute

Tensions et malaise physique

Vous devez toujours vous assurer que le cheval ne souffre pas de troubles médicaux. La méthode Tellington est un merveilleux complément aux soins vétérinaires, mais elle ne les remplace pas. Quand un cheval présente des tensions corporelles, il peut avoir de la peine à exécuter ce qu'on lui demande, et elles peuvent rendre certains mouvements désagréables, voire impossibles. Laissez glisser vos mains sur le corps du cheval avec douceur et vous ressentirez où il apprécie le contact et où il provoque un malaise. Vous localiserez les tensions et vous observerez des changements dans la qualité du poil, ainsi que des variations de température. Pendant l’exploration, il est important que le cheval soit libre de ses mouvements, et vous aussi. Vous souhaitez observer ce qu'il fait et mieux comprendre sa manière de s'exprimer. 

Les schémas de tensions influent sur la posture corporelle, qui est étroitement liée au comportement. Vous remarquerez peut-être qu'un cheval qui tient sa tête haute et qui a tendance à fuir a aussi l'encolure et le dos contractés, tandis qu'un cheval nerveux – un peu comme un éléphant se tenant en équilibre sur un tonneau – présente une multitude de tensions dans les jambes et au niveau du ventre. Il est très instructif de prendre conscience de ces relations. En les comprenant, on parvient à résoudre des énigmes en lien avec le comportement du cheval. 

Il existe des relations directes entre des gênes dans certaines parties du corps et certains comportements.

  • Nous avons souvent constaté que les chevaux qualifiés d'émotifs ou de névrosés ont de la peine à accepter qu'on leur manipule la bouche, ou ils sont très tendus au niveau des lèvres et de la mâchoire. 
  • Les tensions présentes sur les flancs et au niveau du ventre peuvent diminuer la perception que le cheval a de ses jambes, bien qu’il réagisse vivement au moment du pansage à cet endroit.
  • Les tensions au niveau des épaules et des cuisses peuvent nuire à la circulation sanguine dans les sabots. Ces chevaux ont alors souvent les jambes très froides. Ils peuvent réagir avec nervosité aux changements de sol ou sont assez craintifs en général.
  • La queue rentrée entre les jambes et des tensions dans l'arrière-main caractérisent les chevaux effrayés par les objets derrière eux ou qui se ruent au travers des ouvertures. 

Même sans apaiser ces tensions à l'aide des techniques Tellington, vous constaterez peut-être que vos effleurements sur le corps du cheval vous fournissent quantité d'informations sur les raisons de son comportement et pourquoi il a besoin d'aide et d'attentions. Accorder de l'importance à ce que vous ressentez et en prendre conscience peuvent marquer le début d'un changement. Tout comme une main bienveillante posée sur votre épaule contractée vous invite à la détente, vos effleurements modifieront la mobilité de votre cheval. 

Peurs

Les peurs sont en lien étroit avec le sentiment d'assurance d'un animal. Ne pas sentir sûr de soi peut provoquer ou renforcer des peurs. L'insécurité empêche l'apprentissage, et le stress qui en découle agit sur le métabolisme et le comportement. Se sentir sûr de soi est une condition pour dépasser ses peurs. 

Nous pouvons renforcer le sentiment de sécurité d'un cheval en lui permettant de bouger. Vous souvenez-vous quand, enfant, vous vous dégagiez de la prise de vos parents quand ils étaient nerveux car cela vous rendait encore moins sûr de vous? 

Les chevaux dont le corps est bien équilibré sont sûrs d'eux. Ils s'équilibrent d'eux-mêmes s'ils sont libres de bouger la tête et l'encolure. Le mouvement est aussi utile de par son effet physiologique apaisant. Avez-vous déjà ressenti le besoin de bouger après avoir reçu une mauvaise nouvelle?

Lorsqu’un cheval s’emballe, nous aimerions plutôt qu’il s’arrête de bouger. Souvent, notre réflexe est de le tenir plus fermement, ou nous essayons de le raisonner. Nous essayons à tout prix de le stopper dans son comportement. La prochaine fois que vous vous retrouverez dans cette situation, essayez la chose suivante: 

  • commencez par expirer tout l’air de vos poumons!
  • Donnez de l’espace au cheval en avançant au lieu de tirer sur sa tête,
  • et laissez-lui assez d’amplitude pour tourner la tête et regarder autour de lui. 

Si nous voulons que notre cheval développe davantage d’autocontrôle, nous devons aussi commencer par arrêter de vouloir le contrôler. Si vous savez ce qui l’a effrayé, positionnez-vous perpendiculairement par rapport à cet objet. Et quand vous lui demanderez d’avancer, déplacez-vous sur le côté de ce qui a provoqué sa peur, afin qu’il puisse le voir. Il va finir par baisser la tête et n’aura plus de raison de paniquer. Vous constaterez deux choses: votre cheval a pris conscience de ce qui l’a effrayé, et il est en mesure d’écouter et de réagir à ce que vous lui demandez. C’est un fantastique processus d’apprentissage pour lui. 

Linda Tellington-Jones, la fondatrice de la méthode Tellington, a décrit l’intention de ce travail comme «aider le cheval à dépasser ses réactions instinctives et à apprendre à apprendre». Ses instincts s’expriment dans les comportements réactifs et les schémas de tensions qui agissent sur la mobilité. Simplement laisser glisser vos mains sur votre cheval peut le détendre et changer son comportement. 

Accordez-lui de petites pauses pour qu’il assimile l’effet de vos effleurements et qu’il ressente son corps d’une nouvelle manière. Si vous lui permettez de bouger pour qu’il se rééquilibre de lui-même et qu’il explore son environnement, vous l’aiderez à développer une meilleure conscience corporelle – une image claire de son être. Il vous en remerciera par davantage d’autocontrôle et de meilleures performances. Et mieux encore: votre relation s’en trouvera approfondie si vous lui donnez l’occasion de vous parler, et si vous écoutez ce qu’il a à dire. 

2011© Edie Jane Eaton, Instructor pour chevaux et animaux de compagnie,
www.listeningtowhispers.com
Traduction: Laure Rondez, www.tradaction.ch
Rédaction: Lisa Leicht, Instructor pour animaux de compagnie,
www.lisaleicht.ch

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English version of this article : 







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